
Le Bateau Ivre
À paraître samedi 21 août : Cécile DELALANDRE, Œuvres en prose et Œuvres poétiques
J'aurais pu naître...

J’aurais pu naître fleur, m’empétaler la vie
Déployer mon calice à des champs éblouis
Me laisser effeuiller par une fille en fleur
Espérant sur ses lèvres d’un amour la liqueur.
J’aurais pu naître chêne pour que dans ma ramure Chante tout l’univers quand le vent y murmure
Ou caresser le ciel de mon feuillage malin
Qu’un couple de mésanges aurait rendu taquin.
J’aurais pu naître lionne sur la terre d’une Afrique Et chasser l’antilope en une course lyrique
Où rugirait Berlioz comme un Faust damné
Qu’une morsure de diable aurait déchiqueté.
J’aurais pu naître vers et labourer la terre Comme une vieille charrue que pousseraient mes frères.
Mes anneaux serpentins traceraient un sillon
Où le bec de la pie y trouverait mouron.
Comme la fleur, le chêne, la lionne ou bien le vers J’ai dans ma chair des nuées qui tous nous unit vers
La vie la mort la vie sur la même clef de sol.
Celle qui nous joue poussière sans dièse ni bémol.
Celle qui nous joue poussière sans dièse ni bémol...

À dos de chat ailé
Bientôt je partirai
À dos de chat ailé.
Je franchirai les vagues et leur écume blanche,
Plongerai dans leurs eaux jusqu'au bout des coraux,
Y pêcherai l'étoile puis jaillirai des flots.
Dans ma ligne de vol les cormorans devant
Me déchireront l'air pour m'en faire tapis. Parfois le vent uni à la tempête par Méphistophélès
Voudra me retenir sur les rives du mal.
Je rosserai les nuées jusqu'à ce qu'Azur s'ensuive,
Et trancherai l'orage en quartier de lumière
Pour faire de chaque éclair un éternel soleil.
Si l'ouragan démon me happe dans son œil
Pour m'empêcher de fuir cette terre de feu,
Celle qui tant embrase les fagots de la haine,
J'appellerai à l'aide les ailes de l'albatros
Et chevauchant la bête nous rirons de l'archer,
À dos de chat ailé je partirai enfin
Vers des plages de ciel où le sable repose
Sur un éther de paix
Là où l'amour est doux
Comme un nuage qui flotte.